Evangile 1584
Papier, 297 folios, Dévik (région d'Erzeroum) en 1584
Evangile 1584
Papier, 297 folios, Dévik (région d'Erzeroum) en 1584
Version intégrale sur la BVMM (IRHT-CNRS)Ecriture bolorgir sur deux colonnes de 22 lignes
Copiste : Nerses
Tables des canons de concordances entre les évangiles de Matthieu- Luc, Matthieu- Marc pour la première page, Matthieu- Jean, Luc- Marc pour la deuxième page. Tables richement illustrées, d’un entablement végétal sur fond bleu, surmontés d’une croix entourée d’animaux symboliques, le coq et le cygne. Trois fines colonnes soutiennent le cadre architectural, à gauche et à droite à l’extérieur du cadre court un motif d’arbre stylisé surmonté de deux oiseaux tenant dans leur bec la queue d’un animal mythologique. Dans leurs pattes un flambeau vient clore la chaine de la table des canons.
Couleurs vives remises à l’honneur au XVIIe siècle dans la miniature arménienne. Ce petit manuscrit des Evangiles s’ouvre sur la lettre d’Eusèbe à Carpien et les tables des canons. Il comporte les portraits des évangélistes, placés à la page initiale de leur livre, ainsi que quelques ornements marginaux. Les trois premiers évangélistes sont représentés assis en train d’écrire tandis que Jean, debout, dicte son récit à son disciple, Prochore. L’aigle, symbole de Jean, forme sur la page opposée, la lettrine au-dessous d’un rectangle orné de volutes. Le peintre offre une version simplifiée de l’iconographie courante de Jean et Prochore dans les manuscrits arméniens : la figure lourde et statique de l’évangéliste s’impose dans la composition mais ne se tourne pas, cependant, vers la main divine qui apparaît au-dessus de lui. En outre, le fond est ici très différent de ceux plus habituels qui évoquent la grotte de l’Apocalypse sur l’île de Patmos : les monticules rocheux se réduisent à de simples aplats au contour festonné, tandis que les éléments d’architecture se résument à quelques formes succinctes.
Le peintre, probablement le copiste, pousse à l’extrême le style graphique et schématique de ses prédécesseurs, tel qu’il apparaît dans un Evangile copié à Erznkay, dans la même région, presque un siècle plus tôt, en 1488. Le manuscrit de Paris avoue, pour sa part, un goût oriental dans le choix des couleurs qui rappellent la palette ottomane contemporaine et celle des céramiques arméniennes produites à partir du début du XVIIe siècle à Kutahya. Le peintre conjugue la ligne appuyée et ferme avec des couleurs vives, non sans une certaine habileté, malgré la simplicité des formes, une évidente naïveté de la composition et un aspect relativement fruste de l’ensemble du livre. Les portraits des évangélistes offrent également une indéniable parenté avec ceux d’un Evangile du Matenadaran, lui aussi copié dans la région de Karin (Erzeroum) en 1587. Les deux manuscrits ont été réalisés l’un et l’autre dans de modestes villages. Le copiste du manuscrit de 1584 dit clairement dans le colophon avoir accompli son oeuvre dans le « village » de Devik et le même terme désigne le village de Salajor dans le colophon de 1587. Les deux Evangiles témoignent d’un réel dynamisme rural en Anatolie et annoncent, à leur manière, le renouveau de la production de manuscrits peints du XVIIe siècle.
Provenance : inconnue. Ancienne collection Nourhan Fringhian
Bibliographie : catalogue du Musée arménien de France, 1989.
Paris, Musée arménien de France, Fondation Nourhan Fringhian.
Ioanna Rapti
cf Armenia Sacra, p. 389. Editions Somogy/Musée du Louvre 2007.
L’art du livre en Arménie est lié à l’invention de l’écriture. Jusqu’au Ve siècle de notre ère, les habitants du plateau arménien avaient successivement utilisé l’écriture cunéiforme (Ourartou), puis, au fur et à mesure des conquêtes, l’araméen (époque perse), le grec (période hellénistique et parthe) et les caractères latins (domination romaine).
Poussé par la nécessité d’avoir une écriture spécifique adaptée à la langue, un moine arménien, Mesrop Mashtots, inventa vers l’an 405 un alphabet composé de trente-six lettres ou graphèmes correspondant aux trente-six phonèmes de la langue orale utilisée au Ve siècle.
Le livre le plus diffusé et reconnu dans cette nation chrétienne, fut retranscrit en premier : La Bible.
Ceci permit l’apprentissage de l’alphabet par les nombreux copistes des monastères qui agirent comme un réseau de diffusion de la chrétienté renforçant par là même, l’identité arménienne. Cette transmission d’une culture et d’une religion permit de protéger l’identité d’une civilisation au-delà des vicissitudes de l’histoire.
Les textes furent au début, pour la plupart, de nature religieuse, bibliques (Bible-Evangiles) ou liturgiques (Lectionnaires-Hymnaires-Psaumes-Homéliaires, etc.).
À partir de la fin du IXe siècle, les multiples ouvrages crées dans les monastères, diffusent l'alphabet, la langue, la foi et la culture à travers l’écriture : et c’est l’union de la lettre et de la religion qui, malgré les atermoiements de l'Histoire lui supprimant régulièrement ses propres frontières, assureront la survie de ce peuple.
Pour agrémenter la lettre, le peintre prête son concours au scribe et c’est au travers du livre que nous avons la meilleure expression de l’art pictural arménien.
En 1511 apparaît le premier livre imprimé arménien, mais l’importance du manuscrit est telle que, au contraire des autres pays, l’impression de livres arméniens n’atteindra son plein développement qu’au XVIIIe siècle et ne pourra remplacer l’œuvre de la main avant le XIXe siècle.