Hagop Gurdjian (1881-1948)
Salomé, tenant la tête de Jean-Baptiste, 1926
Hagop Gurdjian (1881-1948)
Salomé, tenant la tête de Jean-Baptiste, 1926
Terre cuite peinte signée et datée sur la terrasse.
Un bronze identique se trouve à la Galerie Nationale à Erevan, en Arménie.
Selon un épisode du Nouveau Testament, le Gouverneur de Galilée, Hérode, est ébloui par le charme de sa belle fille, Salomé dansant devant lui. Conquis, il lui promet d’exaucer tous ses désirs. Poussée par sa mère, belle sœur d’Hérode, dont ce dernier est amoureux, Salomé lui réclame la tête du prophète Jean-Baptiste, qui dans ses prêches fustige les mœurs de cette famille royale. Hérode lui apporte sa tête sur un plateau que Salomé remet à sa mère.
Cet épisode a inspiré l’art et la littérature depuis des siècles et surtout les symbolistes et les romantiques du XIXe siècle. Heinrich Heine, Gustave Flaubert, Jules Massenet, Oscar Wilde et bien d’autres se sont inspirés de ce personnage ambigu.
La Salomé de Hagop Gurdjian illustre magistralement cette froide sensualité, dans une représentation typique du style « Art Déco » du XXe siècle.
Chouchi, ville du Haut Karabagh, territoire arménien annexé par l'Azerbaïdjan après la guerre éclair de 2023, vit le 17 décembre 1881, la naissance d'Hagop Gurdjian. Il étudiera l'art à l'école Regal dans sa ville natale et ira parfaire ses études à Moscou au coté de Paolo Troubetzkoy, le "Rodin" russe. Venu en France à 26 ans en 1907, il suivra les cours de l’Académie Julian et fréquentera l’atelier de Rodin jusqu'en 1910. Ses premières expositions entre Moscou, Paris et Saint Pétersbourg présenteront ses bustes des auteurs Maxime Gorki et Arshag Tchobanian. Le buste de Léon Tolstoï datant de la même époque se trouve aujourd'hui dans le Square Léon Tolstoï boulevard Suchet à Paris dans le 16e arrondissement. En 1915 il est à Moscou. Il travaillera aussi à Tiflis (Tbilissi, Géorgie). Cette période verra la création du buste d'Antranik Ozanian (perdu depuis), le fameux Général Antranik qui défendit vaillamment la ville de Van en 1915 pendant les massacres perpétrés par l'Empire Ottoman. On lui doit également les bustes des peintres d'avant garde Martiros Sarian et Georges Yakoulov, du compositeur Serge Rachmaninoff, de Ludwig Van Beethoven, de l'auteur Alexandre Chirvanzadehde, de Feordor Chaliapin le chanteur, de l'écrivain Vahan Terian ainsi que du poète et compositeur Alexandre Scriabine. Participant à la révolution russe à Moscou, il fut chargé par Lénine, qu’il avait connu à Paris en 1911, de faire le projet d’un monument à la gloire de Karl Marx. Il fit aussi, à la même époque, le portrait de nombreux révolutionnaires. Profondément marqué par les pogroms anti arméniens de Chouchi par la population azérie en 1920, il décide de partir pour la France prétextant le recensement de ses œuvres. Il ne reviendra plus. Désormais il ne portraitura plus ses contemporains acteurs de l'histoire mais il se tournera vers l'imaginaire, la mythologie, le figuratif. Verront le jour "Leda" en 1922, "La victoire" en 1923, "Salomé" en 1926, "L'adolescence" en 1934, "La jeunesse" en 1939. Il est aussi considéré comme un excellent sculpteur animalier. Une exposition lui est consacrée à New York en 1924, à Paris en 1926. Il sera exposé à Anvers, Bruxelles, Oslo, Tokyo. En 1945, il expose, au Salon des Artistes Libres Arméniens à Paris, le buste de Karekine Hovespian nommé catholicos (patriarche) de Cilicie l'année précédente. Il décède à Boulogne Billancourt en région Parisienne, le 28 décembre 1948. Une dernière exposition posthume lui est consacrée à Paris en 1952. Sa tombe est au cimetière Pierre Grenier au milieu des tombes russes. Son épouse Tatiana, remariée à Hagop Arakelian, l'a rejoint en 1958. Le second mari de Tatiana, conformément aux vœux de Hagop Gurdjian, lèguera en 1963 plus de 440 sculptures à la Galerie Nationale des Arts en Arménie, constituant le plus important fonds dédié au sculpteur.
Hagop Gurdjian, fait partie de la cohorte de ces artistes arméniens profondément marqués par les massacres dans tout l'Empire Ottoman au début du XXe siècle. Comme beaucoup, son art s'en est profondément ressenti. Déracinés, réfugiés, ils ont toujours "leur art dans leur peau" mais pour beaucoup les sujets changent. Il y a un avant et un après. Cet après, passe d'abord par une adaptation dans le pays où ils ont pris pied, plus ou moins fluide selon le vécu. Certains avaient déjà des attaches, des contacts, leur "métissage géographique" fut plus aisé. Ensuite vient le "métissage artistique" et là on assistera à une nouvelle expression, parfois une nouvelle explosion. Ils se saisissent des courants artistiques, impressionniste, art déco, avant garde tout en gardant leur classicisme et enrichissent les thèmes. Ceux partis vers l'ouest, iront jusqu'aux Etats Unis parfois et évolueront différemment de ceux partis vers la Russie, devenue U.R.S.S. plus proche de leur formation académique. Mais tous survivront, revivront même, comme une faculté inscrite dans leurs gènes.Frédéric Fringhian