Recueil de chants liturgiques, 1591
Manuscrit sur papier, 372 ff. fait à C‘enkus – 1591
Recueil de chants liturgiques, 1591
Manuscrit sur papier, 372 ff. fait à C‘enkus – 1591
Version intégrale sur la BVMM (IRHT-CNRS)Ce recueil de chants festifs liturgiques (en arménien Ergaran) fut copié en 1591, comme le précise son colophon à Cüngüs, évêché situé entre Diyarbekir et Malat‘ya, au sud-est de la Turquie actuelle. D’un petit format qui indique un usage privé, le manuscrit se caractérise par une facture soignée et l’abondance du décor peint, rehaussé d’or. Chaque grande section, suivant en principe l’ordre du calendrier liturgique, est marquée par une vignette dorée et colorée. Chaque chant commence par une lettre ornée suivie d’une ligne de texte dorée, tandis que les titres et la deuxième ligne sont en rouge. Le recueil comporte deux peintures en pleine page, Joachim et Anne, face à la Nativité de la Vierge et la Pentecôte, précédant l’ode correspondante. Enfin, une trentaine de miniatures marginales accompagnent les chants, placées au début, servant ainsi de repères visuels commodes. Quelques-unes évoquent des récits, comme Adam et Ève, d’autres représentent les saints commémorés comme Sainte Rhipsimé.
Joachim et Anne.
Les Hymnaires arméniens s’ouvrent sur le Canon de la Naissance de la Vierge : Canon de la splendide et miraculeuse naissance de Notre Dame la Vierge de Joachim et d’Anne. C’est en face de ce Canon qu’est placée l’enluminure en pleine page représentant les parents de Marie, Joachim et Anne (folio 3v°).
Tandis que l’Hymne est consacré à la glorification de la Vierge, l’enluminure représente la Prière d’Anne, épisode emprunté à l’Évangile apocryphe de l’Enfance du Christ où Protévangile de Jacques, dont la traduction arménienne remonte à une époque très ancienne.
Selon la version arménienne, Anne, ayant aperçu un nid de passereaux dans les branches d’un laurier, se désole dans son jardin à cause de sa stérilité et invoque le Seigneur. De son côté, Joachim prie dans le désert, où il se trouve avec ses troupeaux. Il demande à Dieu de lui accorder un enfant comme à son ancêtre, le patriarche Abraham. Un ange apparaît à Joachim puis à Anne, pour annoncer que le Seigneur va exaucer leurs prières. Les deux époux, avertis chacun de son côté, se rencontrent avec joie à la porte de Jérusalem.
Sur notre enluminure, on voit Anne en prière dans son jardin. Derrière elle, Joachim se tient dans un cadre architectural.
L’art occidental et byzantin ne représente jamais Joachim avec Anne au moment de sa prière. Généralement, dans les cycles narratifs consacrés à la vie de la Vierge, ils sont représentés séparément, ou bien lors de leur rencontre.
Par contre, dans l’art arménien, la représentation des parents de Marie est réservée uniquement aux Hymnaires. Et puisque Joachim et Anne sont tous les deux mentionnés dans le titre du Canon, ils sont toujours réunis dans la même composition. Un ange dans le coin supérieur, faisant un geste de bénédiction montre la faveur divine accordée au couple, tandis que l’édifice qui encadre Joachim évoque la rencontre des époux à la porte de la ville.
Cette formule iconographique devient en Arménie une illustration classique de l’Hymnaire et se rencontre dans les manuscrits du XVe au XVIIe siècle.
Edda Vardanyan.
Ecriture bolorgir sur une colonne de 21 lignes
Copiste : Gaspar
Provenance : Exécuté pour l’évêque Astuacatur de Cüngüs ; aux mains de David Maxtesi Azatxanenc‘ d’Amida/Diyarbekir au début du XVIIe siècle.
Les gardes collées en papier marbré décoré « au peigne » indiquent la présence du manuscrit en France au XVIIIe siècle.
Ancienne collection Nourhan Fringhian.
Bibliographie : Zibawi, 1995, fig. 40-45 ; catalogue du Musée arménien de France, 1989, n° 56.
LA FÊTE DE LA PENTECÔTE
Cette fête chrétienne commémore la descente de l’Esprit Saint sur les Apôtres le cinquantième jour à partir de Pâques. La Pentecôte vient du grec ancien « pentèkostè » : cinquantième (jour après Pâques).
À l’origine, la Pentecôte est une fête juive, comme Pâques. Elle rappelle l’événement historique du don de la Torah au Sinaï. Ainsi Shavou’ot (la Pentecôte juive) est la conclusion, la clôture de Pesah (Pâque juive). C’est en effet pour lui donner la Torah que Dieu a fait sortir Israël d’Egypte : la véritable liberté consiste à accepter de suivre la Loi de Dieu !
Le Livre des Actes des apôtres (2, 1-13) rapporte l’évènement qui s’est passé au Cénacle à Jérusalem, en l’an 30 ou 33 de notre ère, le jour de la fête juive de la Pentecôte, 50 jours après la résurrection du Christ. « Quand le jour de la Pentecôte fut arrivé, ils (les apôtres) se trouvèrent tous ensemble. Tout à coup survint du ciel un bruit comme celui d’un violent coup de vent. La maison où ils se tenaient en fut toute remplie ; alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux. Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues ».
Ainsi, la Pentecôte chrétienne est la fête du don de l’Esprit Saint.
Le récit des Actes des Apôtres fait état "d’un grand bruit" venu du ciel, d’un « violent coup de vent » et de « langues de feu » et qui se posent sur chacun des apôtres. Le bruit, le vent et le feu symbolisent la présence de Dieu ; ils sont une manifestation de la puissance divine, C’est le renouvellement de la théophanie du Sinaï dont la Pentecôte juive est la commémoration.
Si le feu symbolise la présence divine, les langues de feu qui se divisent au-dessus des têtes des apôtres signifie la descente sur eux de l’Esprit de Dieu. Elles symbolisent le don fait à chacun d’eux pour le rendre apte à annoncer, avec une langue de feu, l’Évangile à tous les hommes.
Enfin, le récit fait mention du don des langues que reçoivent les apôtres et les disciples pour leur permettre d’annoncer la Bonne Nouvelle de l’Évangile à tous les hommes, à toutes les nations. On peut y voir une réponse à l’épisode de la Tour de Babel. En effet, lors de la Tour de Babel, les hommes avaient été divisés dans leur volonté d’être plus grand que Dieu. À la Pentecôte, les peuples divisés se retrouvent unis lorsque l’Esprit Saint se manifeste.
La Pentecôte que fêtent les chrétiens célèbre la naissance de l’Église, ce nouveau peuple de Dieu, aux dimensions universelles, qui a pris forme lorsque Jésus ressuscité « a reçu du Père l’Esprit Saint promis et il l’a répandu » (Actes des apôtres 2, 33) sur le groupe de ses apôtres et disciples qui ont cru en Lui et ont reçu la mission d’être ses témoins partout dans le monde.
L’art du livre en Arménie est lié à l’invention de l’écriture. Jusqu’au Ve siècle de notre ère, les habitants du plateau arménien avaient successivement utilisé l’écriture cunéiforme (Ourartou), puis, au fur et à mesure des conquêtes, l’araméen (époque perse), le grec (période hellénistique et parthe) et les caractères latins (domination romaine).
Poussé par la nécessité d’avoir une écriture spécifique adaptée à la langue, un moine arménien, Mesrop Mashtots, inventa vers l’an 405 un alphabet composé de trente-six lettres ou graphèmes correspondant aux trente-six phonèmes de la langue orale utilisée au Ve siècle.
Le livre le plus diffusé et reconnu dans cette nation chrétienne, fut retranscrit en premier : La Bible.
Ceci permit l’apprentissage de l’alphabet par les nombreux copistes des monastères qui agirent comme un réseau de diffusion de la chrétienté renforçant par là même, l’identité arménienne. Cette transmission d’une culture et d’une religion permit de protéger l’identité d’une civilisation au-delà des vicissitudes de l’histoire.
Les textes furent au début, pour la plupart, de nature religieuse, bibliques (Bible-Evangiles) ou liturgiques (Lectionnaires-Hymnaires-Psaumes-Homéliaires, etc.).
À partir de la fin du IXe siècle, les multiples ouvrages crées dans les monastères, diffusent l'alphabet, la langue, la foi et la culture à travers l’écriture : et c’est l’union de la lettre et de la religion qui, malgré les atermoiements de l'Histoire lui supprimant régulièrement ses propres frontières, assureront la survie de ce peuple.
Pour agrémenter la lettre, le peintre prête son concours au scribe et c’est au travers du livre que nous avons la meilleure expression de l’art pictural arménien.
En 1511 apparaît le premier livre imprimé arménien, mais l’importance du manuscrit est telle que, au contraire des autres pays, l’impression de livres arméniens n’atteindra son plein développement qu’au XVIIIe siècle et ne pourra remplacer l’œuvre de la main avant le XIXe siècle.Les Évangiles canoniques du Nouveau Testament ne parlent pas directement des parents de la Vierge Marie. La tradition chrétienne a transmis le nom des parents de Marie : Joachim (« Dieu accorde ») et Anne (« La Grâce - la gracieuse »), ainsi que le lieu de leur maison, à Jérusalem, près du temple. L’histoire de Joachim et d’Anne apparaît dans l’Évangile apocryphe de Jacques, en partie érudite, en partie populaire (voir « Protévangile de Jacques », 1-4 ; texte dans Écrits apocryphes chrétiens, sous la direction de F. BOVON et P. GEOLTRAIN, La Pléiades, Paris 1997, p. 82-85). Ce texte est rédigé probablement vers 150 à Alexandrie.
Anne et Joachim étaient de la tribu de Juda et de la lignée royale de David. Ils étaient riches et possédaient de grands troupeaux. Ils menaient une vie sainte : Joachim est décrit comme un homme pieux qui donne régulièrement aux pauvres et au temple. Cependant, malgré leurs prières ferventes, ils n’avaient malheureusement pas d’enfant. C’était pour les Juifs la pire des malédictions et elle valut à Joachin de voir refusée l’offrande qu’il portait au temple : sa femme étant stérile, le Grand Prêtre rejette Joachim et son sacrifice, l’infertilité de son épouse ayant été interprétée comme un signe de mécontentement divin. Joachim, fort affligé, se retire par la suite au désert où il jeûne et fait de la pénitence pendant quarante jours et quarante nuits, disant en soi-même : « Je ne descendrai ni pour manger ni pour boire, jusqu’à ce que le Seigneur mon Dieu m’ait visité ; la prière me sera nourriture et boisson ».
D’après l’apocryphe, Anne aussi « fut fort affligée, et elle invoqua le Maître, disant : ‘Dieu de mes pères, bénis-moi et exauce ma prière, ainsi que tu as béni notre mère Sara et que tu lui as donné Isaac pour fils’ ».
Des anges apparaissent à Joachim et Anne pour leur promettre un enfant. Anne voit un ange du Seigneur qui se tint devant elle, disant : « Anne, Anne, le Seigneur Dieu a exaucé ta prière. Tu concevras et tu enfanteras, et on parlera de ta postérité dans le monde entier ». Et Anne dit : « Aussi vrai que vit le Seigneur Dieu, si j’enfante soit un garçon soit une fille, je l’amènerai en offrande au Seigneur mon Dieu, et il sera à son service tous les jours de sa vie ».
En même temps, un ange du Seigneur était descendu vers Joachim, disant : « Joachim, Joachim, le Seigneur Dieu a exaucé ta prière. Descends d’ici. Voici que ta femme Anne a conçu en son sein ». Joachim revient à Jérusalem, et près de la Porte d’Or, retrouve Anne qu’il « serre dans ses bras », ils sont exaucés : Marie, mère de Dieu est conçue et sa conception est immaculée.
Les récits concernant Joachim et Anne furent inclus dans la Légende dorée de Jacques de Voragine. Ils sont très représentés dans l’art chrétien, souvent comme une image gracieuse de l’amour conjugal, qui immortalise le baiser qu’ils se donnèrent lorsqu’ils apprirent la conception de Marie.