H 730mm / l 170 mm
Ecriture notrgir
Provenance : ancienne collection Nourhan Fringhian.
Bibliographie : catalogue du musée Fringhian, 1989.
Paris, Musée arménien de France, Fondation Nourhan Fringhian.
Les rouleaux de prière (hemail) sont caractéristiques de la production livresque tardive. Si le plus ancien exemplaire conservé date de 1428, il est plus difficile de situer l’apparition de ces phylactères. Un rouleau antérieur à 1374, inscrit en grec sur l’avers et en arabe au revers, aujourd’hui divisé entre la Pierpont Morgan Library de New York et la bibliothèque universitaire de Chicago, témoigne de l’usage de phylactères magiques en Méditerranée orientale à la fin du Moyen Age. L’intérêt pour les textes magiques, caractéristique d’un public laïc, se manifeste également dans les livres : le premier imprimé à Venise contient ainsi des prières contre les sortilèges et les maladies. Un autre manuscrit, du XVIIe ou du XVIIIe siècle, comporte des horoscopes, les noms de soixante-douze démons, des recettes médicales sans compter un grand nombre de figures de démons.
L’usage d’amulettes magiques répandu dans le monde de l’Islam a certainement stimulé la diffusion de formes arméniennes analogues.
Les rouleaux magiques arméniens sont en général écrits sur papier et abondamment pourvus d’images qui alternent avec le texte et, parfois, s’y substituent, laissant à peine place à une courte prière. Des rouleaux imprimés apparaissent à Istanbul au XVIIIe siècle en même temps que l’imprimerie. Quant au contenu, il est fait de passages des écritures et de prières canoniques, associées à des formules magiques et à des invocations propres aux amulettes. Ce sont souvent des textes reproduits de mémoire, dans un mélange de langue classique et vernaculaire avec, parfois, l’usage du turc, du kurde, ou de l’arabe transcrits en caractère arméniens.
Destinés à un usage privé, les phylactères n’ont pas de véritable colophon et se terminent par une simple formule appelant la protection de Dieu sur son serviteur dûment nommé.
Le fragment présenté ici comporte une série d’invocations précédées par les figures des saints auxquels elles sont adressées : la Mère de Dieu portant l’Enfant, saint Etienne tenant l’encensoir, saint Jean-Baptiste et saint Grégoire l’Illuminateur. Au-dessous, le sacrifice d’Abraham est amputé du passage de la Genèse qui apparaît systématiquement dans les rouleaux magiques. Le fragment se caractérise par sa grande simplicité et le traitement linéaire des draperies et des visages, attendus sur ce genre de production.
Ioanna Rapti
cf Armenia Sacra, p. 32. Editions Somogy/Musée du Louvre 2007.
Détail du fragment de rouleau de prière.
Représentant Saint Grégoire l’Illuminateur, et la prière qui lui est adressée.
Détail du fragment de rouleau de prière.
Détail représentant le sacrifice d’Abraham. En haut à droite dans l’arbre, l’ange arrête la main d’Abraham et lui présente l’agneau du sacrifice.
L'art du livre manuscrit
L’art du livre en Arménie est lié à l’invention de l’écriture. Jusqu’au Ve siècle de notre ère, les habitants du plateau arménien avaient successivement utilisé l’écriture cunéiforme (Ourartou), puis, au fur et à mesure des conquêtes, l’araméen (époque perse), le grec (période hellénistique et parthe) et les caractères latins (domination romaine).
Poussé par la nécessité d’avoir une écriture spécifique adaptée à la langue, un moine arménien, Mesrop Mashtots, inventa vers l’an 405 un alphabet composé de trente-six lettres ou graphèmes correspondant aux trente-six phonèmes de la langue orale utilisée au Ve siècle.
Le livre le plus diffusé et reconnu dans cette nation chrétienne, fut retranscrit en premier : La Bible.
Ceci permit l’apprentissage de l’alphabet par les nombreux copistes des monastères qui agirent comme un réseau de diffusion de la chrétienté renforçant par là même, l’identité arménienne. Cette transmission d’une culture et d’une religion permit de protéger l’identité d’une civilisation au-delà des vicissitudes de l’histoire.
Les textes furent au début, pour la plupart, de nature religieuse, bibliques (Bible-Evangiles) ou liturgiques (Lectionnaires-Hymnaires-Psaumes-Homéliaires, etc.).
À partir de la fin du IXe siècle, les multiples ouvrages crées dans les monastères, diffusent l'alphabet, la langue, la foi et la culture à travers l’écriture : et c’est l’union de la lettre et de la religion qui, malgré les atermoiements de l'Histoire lui supprimant régulièrement ses propres frontières, assureront la survie de ce peuple.
Pour agrémenter la lettre, le peintre prête son concours au scribe et c’est au travers du livre que nous avons la meilleure expression de l’art pictural arménien.
En 1511 apparaît le premier livre imprimé arménien, mais l’importance du manuscrit est telle que, au contraire des autres pays, l’impression de livres arméniens n’atteindra son plein développement qu’au XVIIIe siècle et ne pourra remplacer l’œuvre de la main avant le XIXe siècle.
Rouleaux de prièreCes bandes de papiers, parfois de parchemin, étaient considérées comme des "amulettes de protection" ou "hemail".
De véritables talismans, différents de tous les manuscrits et très populaires. Parfois moins de dix centimètres de largeur et souvent plus de trois mètres de long, elles étaient roulées dans des petites pochettes, les "portes - amulettes" et cousues sur ou dans les vêtements, ou cachées sous les oreillers. Elles accompagnaient chaque voyageur ou commerçant pour le protéger des mauvais sorts, des brigands, des mauvaises rencontres, des maladies et toutes sortes de dangers durant des périples de plusieurs mois dans des contrées inconnues. Les prières appelaient aussi la chance, la richesse, l'enfantement, chassaient le mauvais œil, la mauvaise langue, les démons, le regard maléfique. Les plus anciennes datent du XVe siècle. Les croyances associaient des formules magiques aux prières parsemées d'images de la Vierge à l'Enfant, du Catholicos Nerses Chnorhali, des archanges Michel et Gabriel, des saints guerriers Georges, Serge, Démétrios, Minas et Mercure et d'autres figures magiques souvent accompagnées de signes cabalistiques. L'Eglise pour lutter contre ces écrits prophylactiques, les avait interdits.
Quand par chance le rouleau est complet avec son colophon, on y trouve le nom du bénéficiaire.
Chghagir et notrgirEn même temps que le bolorgir, minuscule originelle du Xe siècle, on utilise des versions cursives : chghagir et notrgir. Leur usage était réservé au secrétaire travaillant comme scribe à la cour ou au catholicossat, où il fallait écrire vite. On voit les caractères notrgir et chghagir dans certains documents officiels signés par les rois et princes. Le chghagir est la cursive habituelle utilisée régulièrement du XVIIe siècle à nos jours, elle se présente sous la forme de lettres plus liées et plus fines que le bolorgir qu'on trouve par exemple dans le manuscrit de l'Evangile de 1584 dans l'Art de l'Ecrit.
Saint Grégoire l'IlluminateurNé en Arménie, fils d'Anak le Parthe, Grégoire grandit et vit à Césarée en milieu chrétien. Durant le règne du roi d'Arménie Tiridate IV, dont il est le serviteur, il refuse de seconder le roi qui désirait restaurer les fêtes de la déesse Anahit. En colère, le roi le fait jeter dans une fosse profonde "khor virab", où selon la légende il reste emprisonné durant 13 années. Nourri de pain par une vieille dame, il arrive à y survivre au milieu des serpents.
Durant ce temps, le roi Tiridate, était tombé amoureux de la jeune et très belle chrétienne Hripsimé, réfugiée en Arménie, après avoir fui Rome. Celle-ci ne voulant pas céder à ses avances, fut massacrée avec ses compagnes. Fou de douleur et de remords, le roi fut transformé en sanglier. Convaincu par sa soeur, elle-même convertie au christianisme, que seul Grégoire pouvait lui rendre son visage humain et royal, Tiridate le fit libérer. Il fut guéri et décida de convertir au christianisme toute sa famille, puis son royaume.
L'Arménie devint alors, vers 310, le premier état ayant officiellement adopté le christianisme et Grégoire l'illuminateur son premier Catholicos, chef de l'Eglise arménienne.